dimanche 23 septembre 2007

LE FIGARO : La Bretagne à la conquête des Champs-Élysées

BERTRAND DICALE.
Publié le 20 septembre 2007


PENDANT la Première Guerre mondiale, la grand-mère de Jean-Pierre Pichard fut domestique à Paris. Elle avait une vingtaine d'années et les gamins des rues chantaient, sur son passage, « des pommes de terre pour les cochons, des épluchures pour les Bretons ». Mais il insiste : « Cette parade sur les Champs-Élysées n'est pas du tout une revanche. Mais il faut voir d'où l'on vient... »

L'ordonnateur de la Breizh Parade, dimanche à Paris, est depuis des lustres l'orchestrateur du réveil culturel breton, phénomène unique dans les régions de France. Pour lui comme pour des milliers de Bretons des années 1960, tout commence par la vague folk, par le courant qu'on appelait « régionaliste » et par la cornemuse. Il est chef des sonneurs du bagad de Rennes quand l'état de ses bronches l'incite à remplacer ses quatre heures de musique quotidienne par la promotion de la musique traditionnelle. En 1972, Jean-Pierre Pichard prend en main la direction artistique du Festival interceltique de Lorient qu'il n'a quittée que cette année. Entre-temps, le nombre de musiciens des formations traditionnelles a atteint les dix mille, plus qu'à aucun moment dans l'histoire de la société bretonne. « Mon plan pour la décennie 1990-2000 était de faire comprendre qu'il existe un phénomène culturel en Bretagne. Je me suis d'abord heurté à un mur d'incompréhension. On me disait :»S'il se passait quelque chose en Bretagne, on le saurait !* Et on ne me le disait pas seulement à Paris, mais aussi en Bretagne. »

Car il fait aussi le constat que, si Alan Stivell a tant réussi dans les années 1970, c'est aussi parce qu'il vivait et se produisait à Paris. « Dans notre pays, on n'existe que dans le regard renvoyé par la capitale ». Aussi Jean-Pierre Pichard décide-t-il, pour « vendre » la Bretagne, d'annexer la fête de tous les Irlandais à travers le monde, la Saint-Patrick. Puis, en 2002, il installe la Bretagne au Stade de France. Pleines pages dans la presse parisienne et 20 heures de TF1 : la reconnaissance du dynamisme culturel breton est incontestable.

Mais il est un constat que Jean-Pierre Pichard martèle avec obstination : « La Bretagne bouge, et pas seulement dans le domaine culturel. » Il propose alors à la Région d'oser « quatre jours de vitrine de la Bretagne à Paris ». Des premiers contacts sont pris en 2002, mais il mettra des années à convaincre la Préfecture de police de Paris de lui ouvrir la moitié des ChampsÉlysées, du Rond-Point à la place de la Concorde.

De puissants soutiens

« Ils aiment traiter avec des professionnels », souligne-t-il. L'énorme parade des nations celtes, avec ses milliers de musiciens et de danseurs défilant tous les ans dans les rues de Lorient, est devenue un exemple d'événement de masse géré de main de maître, et a beaucoup pesé dans la balance. Les Champs ouverts, la Région enthousiaste, la Breizh Touch bénéficie aussi de soutiens puissants dans le monde de l'économie, comme Vincent Bolloré, François Pinault ou Patrick Le Lay, mais aussi Anne-Marie Idrac, présidente de la SNCF, et une foule de personnalités, bretons d'origine ou de coeur, Patrick Poivre d'Arvor, Jane Birkin, Bernard Hinault ou Erik Orsenna.

La voie dès lors est libre pour la musique traditionnelle bretonne. Tradition bien vive, d'ailleurs : la moyenne d'âge des musiciens des bagadou qui vont défiler sur les Champs-Élysées est de 25 ans. Jeunesse qui n'est pas sans lien avec le tissu culturel : « Les Bretons ont peut-être plus que d'autres une capacité ancienne à vivre des événements collectifs liés à la musique et à la danse, comme le fest-noz, dans une culture qui n'est pas considérée comme folklorique », explique Béatrice Macé, directrice des Transmusicales de Rennes, le plus « pointu » des festivals rock français. La région, où la musique traditionnelle est la plus puissante, est aussi une région merveilleusement riche en festivals rock, jazz, électro ou world. La Breizh Touch a ainsi invité huit festivals (Transmusicales de Rennes, Art Rock de Saint-Brieuc, Tombées de la nuit de Rennes, Vieilles Charrues de Carhaix, Astropolis de Guilers, Bout du monde de Crozon, Route du Rock de Saint-Malo et Atlantique Jazz Festival de Brest) à proposer une programmation à Paris.

Tout l'enjeu de la Breizh Touch est là : démontrer, derrière le dynamisme d'une musique enracinée dans des siècles d'histoire ou les promesses des nouvelles technologies, « ce qui ne s'enseigne pas dans les écoles de commerce ou à Sciences Po, selon Jean-Pierre Pichard, et qui fait que des Australiens ou des Argentins travaillent maintenant avec des Bretons, à l'Interceltique puis ailleurs : l'affectif, l'humain..

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